Deck building et Pose d’ouvriers (Narak, Margraves & Vicomtes)

Le monde du jeu de société moderne se développant de plus en plus, les auteurs et éditeurs essayent constamment de réinventer ou de mélanger des mécaniques bien connues pour procurer de nouvelles sensations aux joueurs.

Il y a par exemple dernièrement plusieurs très bons jeux qui ont tenté le mélange de la pose d’ouvriers et du deck building. Nous allons nous concentrer sur trois jeux plutôt récents pour les comparer :

  • Les ruines perdues de Narak, qui dans un univers à la Indiana Jones propose un jeu au thème très imbriqué pour retrouver le Temple Perdu sur l’ile de Narak. Un jeu d’Elwen & Mín pour 1 à 4 joueurs, illustré par Jakub Politzer, Jiří Kůs, Milan Vavron, František Sedláček et Ondřej Hrdin chez Iello.
  • Margraves de Valeria, dans l’univers de Valeria avec les superbes illustrations de The Mico pour défendre le royaume en érigeant des tours de Conjuration. Un jeu de Isaias Vallejo pour 2 à 5 joueurs chez Daily Magic Games et les Lucky Duck Games et Neoludis pour la VF.
  • Vicomtes du Royaume de l’ouest, qui finalise la série de l’Ouest (après Architectes et Paladins) aussi illustré par The Mico et est surement le plus complexe de la série de l’Ouest mais aussi des trois cités. Un jeu de Shem Phillips et S. J. Macdonald pour 1 à 4 joueurs chez Garphill Games et Pixie Games pour la VF.

Essayons donc comparer en détail ces trois jeux pour connaisseurs sur la base de ces mécaniques.

Le deckbuilding

Une mécanique qui consiste généralement à démarrer avec un deck de cartes de départ assez faible que l’on pourra améliorer lors de la partie. En achetant généralement des cartes sur un marché commun et en pouvant potentiellement épurer son deck en supprimant des cartes.

Quelques excellents jeux basés principalement sur cette mécanique vus sur le blog : Harry Potter Bataille à Poudlard, Clank!, … ou d’autres avec un aspect Deck Building plus léger : The Loop, Deep Blue

Usage multiple des cartes

Chacun de ces jeux proposent un usage multiple des cartes (généralement pour un pouvoir principal ou un effet annexe) afin de multiplier les choix possibles à chaque action.

  • Dans Narak, on défausse une carte pour son pouvoir ou une ou plusieurs pour se déplacer sur l’ile en fonction du symbole de déplacement. Certaines actions du plateau vont aussi forcer le joueur à en défausser (pour récupérer un Joyau ou combattre certains gardiens par exemple). Ça n’est toutefois pas une obligation, certaines actions pouvant être réalisées sans utiliser de cartes. On peut d’ailleurs faire des actions gratuites (avec ou sans cartes) avec le symbole éclair avant et après notre action principale.
  • Dans Margraves, on défausse obligatoirement une carte pour réaliser une action, soit celle de la carte, soit celle des fanions (pour activer des pouvoirs ou gagner des ressources), soit pour réaliser l’une des deux actions de son plateau (construire une Tour de Conjuration ou récupérer ses cartes en main). Simple et efficace.
  • Dans Vicomtes, l’approche est un peu différente avec une carte que l’on joue qui se place sur une rivière coulissante de carte. La carte définira le mouvement de notre Vicomte, mais aussi les ressources disponibles pour le tour, en plus d’un pouvoir immédiat ou qui sera actif tant que la carte est sur la rivière ou quand elle en sort. Il y a aussi sur le plateau des cartes que l’on pourra grâce à notre Margrave éliminer pour un autre pouvoir en haut à droite ! Une sorte de programmation coulissante très intéressante.

Amélioration de son deck

Le deck de départ étant plus ou moins faible suivant le jeu, nous pourrons l’améliorer pour soit multiplier nos possibilités et notre nombre d’actions, soit en augmenter l’impact. Le tout via un marché, une rivière où un plateau commun.

  • Dans Narak, on pourra à tout moment acheter un Objet (avec des pièces) ou un Artefact (à l’aide des boussoles). Les objets rejoindront le dessous de notre pioche, alors que les Artefacts verront leurs effets exécutés immédiatement puis rejoindre notre défausse. Ce système a par contre l’avantage notamment pour les objets de pouvoir prédire assez fortement les cartes de la manche suivante. La rivière est aussi très intéressante. Elle sépare les Objets des Artefacts via le Sceptre lunaire servant de compteur de manche. Plus les manches passent, plus il y aura d’Artefact et moins il y aura d’objets. Le coût ne dépend pas de la position, mais simplement de la carte.
  • Dans Margraves, nous pouvons acheter une carte lors du pouvoir de rappel nous permettant de reprendre notre défausse en main ou à l’aide de certaines actions de village du plateau. Nous pouvons acheter une carte sur la rivière de Citoyens à l’aide de nos pièces. Une rivière rendant les objets les plus proches de la pioche plus chers (de 6 pièces à 2 pièces). Les cartes achetées rejoindront directement notre main pouvant être utilisées dès le tour suivant. Surement la vision la plus simple et évidente.
  • Dans Vicomtes, il y a cinq zones sur le plateau avec des piles de cartes. Pour recruter une nouvelle carte, il faut que son Vicomte soit à côté et que l’on paie l’argent nécessaire indiqué en haut de la carte. On profite immédiatement du pouvoir en haut à droite de la carte qui sera ensuite placée dans la défausse du joueur qui ne sera mélangée à la pioche que lorsque la pioche sera vide ! Surement le mode le plus difficilement prédictible mais aussi celui le plus classique dans le monde du deck building.

Deckbuilding et points de victoires

  • Dans Narak, les cartes Objets et Artefacts rapporteront des points de victoires en fin de partie. Il y a un équilibre entre le prix de la carte, son pouvoir et le nombre de points qu’elle rapporte. Il y a plein d’autres moyens de faire des points, mais ça en reste un important.
  • Dans Margraves, les cartes Citoyens possèdent une icône Guilde. En fin de partie, on multipliera le nombre d’icônes guilde de nos cartes (plus ceux des Tuiles Privilèges et des villages avec nos Tours de Conjuration) par notre niveau d’influence sur cette guilde. Un moyen donc quasi obligatoire pour faire des points de victoire.
  • Dans Vicomtes, les cartes ne rapporteront aucun point. Du moins directement, puisqu’avec certains Manuscrits, il sera possible de gagner des points en fonction de certains symboles sur les cartes de notre deck. Les cartes sont donc plutôt une manière de faire rugir son moteur, qu’une source obligatoire de point. Mais en choisissant intelligemment les cartes avec les bons Manuscrits, c’est toutefois possible de gagner de précieux points de victoire.

Rotation du deck

  • Dans Narak, à la fin de chaque manche, on mélange sa défausse, puis on place le tas de cartes mélangé sous sa pioche. On reprend ensuite 5 cartes. Le jeu comportant 5 manches et à moins d’avoir des objets ou artefacts permettant de renforcer cette rotation avec des moteurs de pioche, le deck tourne finalement assez peu.
  • Dans Margraves, lorsqu’il ne nous reste plus qu’une carte en main, nous devons obligatoirement faire l’action de rappel à l’aide de cette carte afin de reprendre en main l’intégralité de notre défausse. Le deck tourne ici déjà bien plus.
  • Dans Vicomtes, à la fin du tour d’un joueur, il re-pioche des cartes jusqu’à la limite de sa main. 3 au début mais peut augmenter ensuite. Une rotation donc assez faible.

Épuration du deck

Une mécanique importante dans les deck building est la capacité à éliminer les cartes plus faible de son deck.

  • Dans Narak, certaines actions du plateau (Sites, Bonus de recherche) et certaines cartes vont permettre d’en exiler de notre main. Cela permet d’enlever les cartes de départ un peu faible, mais surtout dans Narak d’éliminer les cartes Peur que l’on peut récupérer lors de certaines actions ou de la découverte de certains sites et qui vont affaiblir fortement notre deck, étant des cartes assez peu utiles (seulement une botte de déplacement), et faisant perdre des points de victoires en fin de partie.
  • Dans Margraves, cette mécanique n’existe pas, mais c’est aussi moins gênant, les cartes étant de niveau plus équilibré (y compris celle de départ) sans qu’aucune carte négative n’existe.
  • Dans Vicomtes, c’est pareil, nous pourrons éliminer des cartes avant de les acheter pour profiter de leurs pouvoirs, mais on ne pourra plus enlever des cartes de notre deck une fois recrutés. Les cartes étant assez polyvalentes, l’approche est aussi assez différente.

La pose d’ouvriers

Une mécanique qui consiste à poser des ouvriers (meeples) sur des zones d’un plateau généralement commun pour avoir une récompense associée à cette pose.

Quelques excellents jeux basés principalement sur cette mécanique vus sur le blog : Couleur de Paris, Dreamscape, Charterstone, Pendulum

Différences sur la pose d’ouvrier

La gestion des ouvriers est aussi très différente ici d’un jeu à l’autre.

  • Dans Narak, on ne possède que deux Archéologues à chaque manche obligeant à les utiliser intelligemment, en combinaison avec une ou plusieurs cartes de déplacement pour atteindre les sites de l’ile voir même des boussoles pour en découvrir de nouveaux. Le pouvoir s’active immédiatement lorsque l’on visite un site déjà découvert, mais lors de la découverte d’un nouveau site, c’est un site aléatoire de la pioche qui arrive avec un pouvoir qu’on ne pouvait anticiper. C’est le plus classique sur cet aspect malgré l’aspect aléatoire du pouvoir lors de la découverte d’un nouveau site. Par contre, lors de la découverte d’un nouveau site, un Gardien apparait aussi pour le protéger et demandera de défausser lors d’une future action des ressources pour le maitriser et gagner un pouvoir. Si ça n’est pas fait, une carte Peur sera rajouté dans la défausse à la fin de la manche.
  • Dans Margraves, nous possédons chacun un Margrave que l’on peut déplacer. On peut le déplacer grâce au pouvoir de certaines cartes ou du fanion sur d’autres. On activera le pouvoir de la ville dans laquelle on arrive. Il y a aussi des chevaliers “communs” à tous les joueurs qu’on peut déplacer via d’autres pouvoirs, soit de notre plateau, soit d’un lieu adjacent pour activer aussi le pouvoir de la ville. Ces chevaliers pourront combattre des monstres et rejoindre en mourant au combat le Tombeau héroïque, jeu dans le jeu permettant d’avoir une sorte de grille dont les colonnes et lignes que l’on remplit grâce à la pose des Chevaliers amèneront divers bonus une fois complétées. Original et intéressant thématiquement.
  • Dans Vicomtes, c’est notre Vicomte que l’on déplacera grâce au nombre sur la carte joué avec la possibilité de payer en pièces pour aller plus loin. La case d’arrivée définira les actions possibles. Il y a aussi le château qui permet d’y envoyer des ouvriers via les cases du chemin intérieur. C’est surement celui qui s’éloigne le plus d’une sensation classique de pose d’ouvrier mais du coup aussi le plus original.

Zones d’actions de la pose d’ouvriers et variabilité

Pour varier la partie pose d’ouvrier, les jeux ont optés pour une approche assez différente :

  • Narak parait le plus variable puisqu’au début de la partie, seules cinq zones seront disponible au campement. Les joueurs pourront ensuite découvrir de nouveaux sites (de niveau I ou niveau II pris sur les deux pioches associées) qui seront pour les manches suivantes disponibles pour les autres joueurs. Un moyen intelligent d’offrir une variabilité forte sur les parties.
  • Margraves possède des actions de villages fixes et connues dès le début de la partie. La variabilité ici sera plutôt offertes par les cartes monstres offrant différentes récompenses aux joueurs envoyant des Chevaliers les combattre. On peut aussi ajouter la construction des Tours de Conjuration qui peut se faire à l’endroit où est notre Margraves et donne le pouvoir indiqué sur la case sur laquelle est construite la Tour. C’est le plus léger des trois sur cet aspect.
  • Vicomtes a lui l’originalité d’avoir un plateau composé de cinq parties assemblable en début de partie comme un puzzle. Tout comme Margraves, les piles de Citoyens aléatoires permettront de varier aussi les actions possibles. En plus des ouvriers, il sera aussi possible de construire des bâtiments sur la partie supérieure du plateau principale en fonction de la position de notre Vicomte pour profiter du pouvoir de la case sur laquelle on placera notre bâtiment. Ce bâtiment venant de notre plateau personnel, nous profiterons aussi d’un pouvoir supplémentaire affiché par la libération de ce bâtiment de notre plateau. Certaines zones de bâtiments du plateau principal sont en plus reliés offrant un pouvoir aux deux joueurs ayant construit le bâtiment de part et d’autres du lien. C’est clairement le plus riche sur cet aspect !

Nombre de joueurs

  • Narak se joue de 1 à 4 joueurs avec un excellent mode Solo et tourne parfaitement sur toutes les configurations
  • Margraves ne possède pas de mode Solo, mais a l’avantage d’aller de 2 jusqu’à 5 joueurs et est plutôt fluide peu importe la configuration.
  • Vicomtes a aussi un excellent mode Solo, se joue de 1 à 4 joueurs, mais souffre un peu de sa complexité à 4 joueurs et atteint des durées de jeux bien supérieures à deux heures. Avec l’ajout de la Saga des Tomes du Royaume de l’Ouest (une boite supplémentaire), Vicomtes gagne même un mode coopératif, ainsi qu’un mode Campagne en jouant les trois jeux de la Saga l’un après l’autre (Architectes du Royaume de l’Ouest, puis Paladins du Royaume de l’Ouest puis Vicomtes du Royaume de l’Ouest).

Complexité du jeu

Les trois jeux sont d’un gabarit proche de ce qu’on appelle les jeux experts ou plutôt pour connaisseur. Margraves est le plus léger des trois (2.61 sur BGG) et le plus court niveau temps de jeu, suivi de tout prêt par Narak (2,76 sur BGG). Vicomtes est lui un cran plus costaud en termes de réflexion et moins accessible que les deux autres (3,45 sur BGG). Nous sommes en tout cas au minimum sur des jeux pour “joueurs” dès 12, voir 14 ans tant la réflexion est importante. Il faut compter une petite dizaine de minutes de règles pour Margraves et Narak, entre 15 et 20 minutes pour le costaud Vicomtes.

Visuel et matériel du jeu

Forcément, avec deux jeux illustrés par le talentueux The Mico, Vicomtes et Margraves se rapproche sur le sujet avec un visuel très coloré et agréable, nous laissant en territoire assez connu. Narak est lui du coup assez différent mais aussi peut être plus standard et manque peut être d’un poil d’identité. Les trois sont beau et assez difficile à départager sur cet aspect.

Ils sont en plus tous assez chargés en matériel de qualité. Un plateau juste énorme pour Margraves et Narak, contre un plateau puzzle rond très original articulé autour d’un château en plastique pour Vicomtes. Des belles ressources pour tous en tout cas avec une présence en table qui ne laisse pas indifférent. Côté boites, mention spéciale à Vicomtes pour son format de boites remplis à ras bord comme tous les jeux de la série. Margraves fait dans le classique là où Narak pose une boite énorme tout en longueur moins évidente à ranger.

Conclusion

Il est assez passionnant de voir toutes les micro variations que l’on peut retrouver dans différents jeux autour de mécaniques pourtant au départ assez codées et sur le papier assez similaires.

Les trois jeux sont de très beaux titres. J’ai personnellement une grande préférence pour Les ruines perdues de Narak que je trouve au-dessus des deux autres sur l’aspect thématique lié aux mécaniques ainsi que sur le plaisir de jeu. Madame, elle, préfère Margraves de Valeria. C’est en tout cas le plus accessible tout en bénéficiant d’une sacrée belle richesse. Vicomtes du Royaume de l’Ouest lui est le casse crane du lot et surement le plus difficile à appréhender. Nous avons d’ailleurs tendance à lui préféré ses deux petits frères Architectes et Paladins que l’on trouve encore meilleurs.

Margraves et Vicomtes ont par contre l’avantage de faire partie d’une série et d’avoir d’autres jeux dans le même univers à proposer, ce que Narak n’a pas (encore ?). Narak et Vicomtes se joue en Solo mais jusqu’à 4 uniquement, là où Margraves n’a pas de solo mais monte à 5 !

Il y a probablement d’autres jeux ayant tenté ce mélange, notamment Dune Imperium (aussi chez Lucky Duck Games) ainsi que d’autres que nous ne possédons pas ou ne connaissons pas.

Voilà pour cet article qui tente d’aborder des jeux par un angle un peu différent. Si tu as des feedbacks sur l’article ou les jeux, n’hésites pas !

Illustré par
František Sedláček

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Jakub Politzer

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